Mordre...
Ma journée d'hier restera dans les annales: j'ai failli mordre un élève ! Oui, vous avez bien lu: une semaine à peine après la rentrée des classes, j'ai failli mordre un élève très très ch... pour lui faire lâcher un truc qu'il ne voulait pas me donner !
Très très mal, la nana... j'ai eu l'heureuse idée de me retenir in extremis, pourtant j'étais à peine en état de me retenir...
Les questions, quand on dérape vis à vis d'un môme, sont toujours les mêmes. Je dis toujours car en 20 ans de carrière, cela m'est déjà arrivé deux fois, et j'ai beaucoup travaillé sur ce qui nous amène à déraper vis à vis d'un gamin.
Cela m'est arrivé en début de carrière, lors d'un stage de formation. Pas de mordre. Mais j'avais failli coller un coup de pied à un gamin de CE2 qui venait de me mordre au bras, à sang. Cela avait bien fait rigoler les collègues: il nous a tous mordu! T'es vaccinée contre la rage ?
Mais au-delà de l'anecdote, les questions qui se posent alors à nous sont des questions de remise en cause personnelle: suis-je faite pour ce métier? Ce métier est-il fait pour moi ? En suis-je capable ? Ai-je les capacités à m'améliorer, à tenir le choc ? Tenir le choc, tenir le coup, dans ce métier cela revient sans cesse comme une nécessité: tenir la semaine,tenir jusqu'à la semaine prochaine, tenir jusqu'au vacances. Si les profs comptent sans arrêt à rebours le temps qui reste jusqu'aux vacances, ce n'est pas parce qu'ils rêvent de vacances, il ne faut pas s'y tromper c'est parce qu'ils mesurent l'effort à fournir pour réussir à tenir le choc.
Cela m'est à nouveau arrivé deux ans plus tard. Un élève très très pénible que je n'arrivais pas à canaliser. J'avais vu la mère plusieurs fois qui, sans soutenir le gamin, mais sans intervenir vis à vis de lui, n'était pas capable d'un autre discours que "foutez lui des baffes". Et la stigmatisation est montée, est montée, est montée. J'étais obnubilée par ce problème, qui m'envahissait. La nuit, je rêvais que je lui collais une baffe. Prémonition ? Mise en condition? Toujours est-il qu'un matin vers 11 h, ce grand gamin de CM2, plus grand que moi et vraiment baraqué, a voulu me frapper ! Oui, il était debout, vociférant, je me suis avancée pour le demander de se remettre au travail, et il m'a collé son poing dans la figure. A toutes forces. Enfin, j'ai esquivé de justesse, heureusement ! Mais j'ai eu vraiment peur et j'ai vu rouge. Je me suis rappelé du conseil de ma mère, enseignante : "jamais devant témoins", je l'ai saisi par les épaules, trainé dans l'entrée de l'école (classe unique), et très calmement, je lui ai collé une baffe, je l'avoue!
Il a hurlé et s'est jeté par terre où il s'est roulé en trépignant pendant exactement 30 minutes.
Je lui ai tourné le dos et je suis retournée en classe continuer mon cours. Silence dans les rangs pour la première fois de l'année ! Etonnant, car depuis le début de l'année, on n'avait jamais pu travailler en silance, à cause de lui, et là, on a pu, enfin !
J'avais peur qu'il se barre et rentre chez lui mais au bout de 30 minutes, il est entré en classe, sans bruit, s'est assis à sa table, s'est mis à travailler et a fini l'année et demi qui lui restait à passer avec moi (fin du CM1 et CM2) avec un comportement de politesse et de gentillesse absolument inattendu auparavant. J'ai enfin pu l'aider et on a réussi à éviter l'orientation en segpa, il est parti au collège avec les autres. J'ai cessé de faire venir la mère, mais un jour, on s'est rencontré et elle m'a dit gentiment que ça se faisait pas de baffer les momes... J'ai fait celle qui n'avait pas entendu.
Par contre, ce que j'avais gagné ce jour-là avec cet élève, élève difficile mais grand enfant attachant, je l'ai perdu avec les autres. C'est à dire qu'il s'est enfin mis à me respecter, et j'en avais tiré la leçon qu'avec les loups, il faut montrer qu'on est le chef de la meute, mais les autres élèves, qui avaient parfaitement compris ce qui s'était passé, m'ont montré de la distance, même si j'avais un ou deux fans parmi eux, qui louaient mes mérites: Super Prof, la meilleure qu'on ait jamais eue !
Durant 15 jours, je n'en ai pas dormi la nuit, remâchant mes remords d'une part, et me reveillant au milieu de cauchemars sur la visite vengeresse de mon inspecteur muni d'une plainte des parents, mon renvoi de l'éducation nationale... Mais il ne s'est rien passé, tout est rentré dans l'ordre et je suis restée sur la désagréable et diffuse sensation qu'on manquait de formation et de soutien pour gérer les problèmes "de relation pédagogique". J'ai prié pour que ça n'arrive plus, je me suis engagée dans la pédagogie coopérative afin que les élèves puissent s'exprimer librement, trouver leur place dans le groupe, dans les projets menés... Cela fait partie de mon expérience, cela a été une épreuve fondatrice qui m'a permis de réfléchir et d'améliorer mes pratiques pédagogiques, pour faire réussir mes élèves, tous mes élèves, pour les intéresser, pour les motiver, pour travailler ensemble et non pas être en opposition.
Dix ans plus tard environ, j'ai eu la possibilité de travailler sur la violence à l'école. Pas la violence des élèves, on en parle facilement depuis longtemps, mais de la violence de l'institution et de certains maitres vis à vis des élèves. J'avais une classe où je menais une pédagogie coopérative avec un groupe de mioches particulièrement attachants et l'un d'eux a laché: ma maitresse d'avant m'a attaché au radiateur ! Et une autre a suivi: ben moi, à ma chaise. Et une troisième: ben moi, je suis restée debout toute la journée parce que j'arrivais pas à lire un mot...
Ils se sont lachés. Ma première réaction a été: "C'est une blague ?" mais devant leurs regards blessés, j'ai compris que ça n'en était pas une. Je les ai fait parler, j'ai tout noté, je suis allée voir la psychologue scolaire pour lui donner ces paroles et lui demander une intervention collective mais elle a refusé de s'en occuper en disant: "Oh, pas de remise en cause de l'institution dans l'institution". Mon étonnement était à son comble... Mais ça n'était pas une remise en cause de l'institution dans l'institution, c'était vouloir parler du quotidien des rapports difficile des élèves avec les enseignants !
Finalement, j'ai pris ma décision: puisque la psychologue refusait d'intervenir, nous avons donc travaillé tout un trimestre sur ces paroles. Comment c'était arrivé? Que pouvait-on faire ? Comment en parler sans dénoncer, sans porter tort aux enseignants ? Pourquoi ces enseignants avaient fait ça ? Qu'est-ce que les droits et les devoirs des enfants ? Pourquoi les enfants sont punis ? Quand est-ce que c'est normal, quand est-ce que c'est anormal ? Qu'avait-on le droit d'en dire? Fallait-il punir ou non ? Et pourquoi ? Et comment ? Nous avons écrit un article dans le journal de l'école pour expliquer aux élèves comment se conduire pour ne pas se faire punir. Nous avons expliqué aux professeurs qu'ils devaient expliquer les règles aux élèves avant de les punir pour ne pas avoir respecté des règles qu'ils ne connaissaient pas... Notre discours a été très fraichement accueilli par les profs, mais l'accueil des parents et des autres élèves de cette grande école de 220 têtes a été très favorable.
Néanmoins, cela a interrrogé ma petite bande qui s'est posé la question: mais pourquoi les adultes, les profs, ne veulent pas en parler? Ils ont découvert ce qu'est un tabou... Puis l'inspectrice, alertée, est arrivée pour nous dire de ne pas parler du problème ouvertement, mais en en faisant un conte, une fable... Ils ont découvert ce qu'est la censure. Pourquoi La Fontaine avait mis des animaux en poème plutot que parler des grands de son monde. Ils ont décidé d'en faire autant et leur histoire est devenue une histoire arrivée à d'autres, ailleurs...
C'est parti pour participer à un concours d'écriture scolaire. Cela s'appelait: Ceci n'est pas une bombe mais un livre ! J'avais rencontré la présidente de la commission des droits de l'enfant et lui avais soumis le travail. Elle l'avait trouvé excellent et avait fait une préface magnifique. Mais j'ai commis l'erreur de le montrer à des collègues. Interventions de la hiérarchie, et retrait autoritaire du livre du concours ! On est arrivé pour me demander ma démission. J'ai refusé.
Je passe sur bien des péripéties... Tout ça s'est tassé. Enfin, on m'a totalement interdit d'en parler, de communiquer sur le sujet, y compris dans la hiérarchie, avec mes collègues. Autant dire que le jour où ce blog s'ouvrira, vous verrez disparaitre cette page. Un certain nombre de collègues ont eu le livret de notre travail en main. Tous m'ont dit: mais c'est vachement intéressant, il faut le porter à connaissance de tous les enseignants, car c'est le meilleur moyen de prévenir les violences que d'en parler en expliquant comment elles arrivent !
Une chose positive est restée de tout cela: la ligue des droits de l'enfants présente le livret dans les IUFM lorsqu'on leur demande d'intervenir sur la formation des enseignants !
Et grosse consolation: mon inspectrice de l'époque, qui a pourtant sévèrement été secouée par ses erreurs dans cette affaire, me considère comme une EXCELLENTE enseignante et le dit partout, y compris chez le coiffeur ! (vivent les petites villes de province !)
Bref... cet intermède historique pour vous expliquer comment je me sens stupide d'avoir failli mordre ce môme, hier. D'accord, je ne l'ai pas fait. Mais j'ai FAILLI le faire ! J'en ai eu l'intention, l'espace d'une minute ! j'ai ouvert la bouche...
Comme je me sens mal, vous ne pouvez pas savoir. Oui, tout ça m'arrive à moi. Alors que je suis contre cela, que je sais le mal que cela fait, que j'ai milité pour autre chose, pour enseigner autrement que dans ce rapport de force, que je me suis formée pour ça... Mais quoi ? Pourquoi... comment... oui, je sais le pourquoi et le comment. Et je sais que là, il me faut prendre du recul, me reformer, probablemenet me replonger dans ce livret que mes élèves ont écrit, à l'époque... Car je n'ai que l'autocritique et l'autoformation à ma disposition pour que ça n'arrive plus ! Ah, si, les groupes de parole et de soutien que je voulais qu'on crée, il y a dix ans, quand c'est arrivé, existent depuis peu: des groupes de parole pour enseignants à bout... Gérés par une psy, pris en charge par la MGEN. On a le droit d'y aller trois fois. Je vais me renseigner.
Mais après 20 ans d'ancienneté dans ce métier, les questions sont: suis-je encore capable de continuer dans ce stress permanent, cette bataille quotidienne ? Est-ce que je crois encore à mon action ? Dois-je continuer ou arrêter ?
J'ai lu dans Marianne qu'en ce moment, 25 % des enseignants voulaient changer d'activité. Si des gens comme moi, qui ne sont pas les plus mauvais enseignants (oui, là, petit manque de modestie, mais j'assume...) si les gens comme moi démissionnent, où va-t-on ?
En même temps, les gens comme moi, en fin de carriève, fatigués, épuisés, sont peut-être voués à devenir de mauvais enseignants ? Et il est hors de question que je devienne une mauvaise enseignante ! Malgré les difficultés inhérentes à ce métier, j'ai fait de bonnes et belles choses, dont je suis vraiment fière, avec des temps forts exceptionnels qui je le sais, ont marqué les gamins pour le meilleur, pas question de laisser autre chose derrière moi que mes réussites.
En entrant dans l'éducation nationale (mon 4ème métier à l'époque...), j'avais dit que c'était pour 10 ans et qu'ensuite, je ferai autre chose, probablement de la formation pour adultes. Cela fait 22 ans et j'ai été successivement institutrice puis prof des écoles (avec une direction de classe unique), ensuite, mise à disposition de l'OCCE, gestion des coopératives scolaires et coopération scolaire, avant d'être remplaçante puis enfin de devenir enseignante spécialisée. Autant dire que j'ai fait 3 métiers différents durant ces 22 années...
J'ai également toujours dit qu'il était hors de question que je devienne un jour l'un de ces enseignants comme on en voit un peu partout (ayant été remplaçante, je pourrais généraliser en disant que pratiquement chaque école en compte un, tandis qu'il y a toujours un petit groupe malsain dans chaque collège), l'un de ces profs râleurs, en fin de course, mal dans leur peau, critiquant sans discernement ces crétins d'élèves et leurs couillons de parents, ce drôle de monde qui fout le camp, le ministre qui peut dire ce qu'il veut car ils sont pas dans la classe et qu'il ferait bien d'y venir, et les jeunes collègues qui arrivent, encore emplis d'enthousiasme et de courage, sans trouver grâce à leurs yeux... Oui, je les avais remarqués, ces enseignants aigris, usés, finis, je les avais vus, je n'ai jamais pensé qu'il s'agissait d'une race à part, j'ai toujours pensé que j'étais différente tout en ayant peur de devenir l'un deux... Et j'ai toujours dit: non, hors de question. Je partirai avant.
Je ne suis pas l'un d'eux. Tout d'abord, la grande différence, c'est que j'ai encore de la compassion pour ces ados en mal-être, je les respecte autant que je peux, je ne fais aucune différence entre celui qui veut et celui qui ne veut pas, entre le blanc et le noir, le poli et le petit sauvageon: je fais le maximum, pour tous.
Sauf que là, j'ai l'impression d'atteindre mes limites. Je n'ai pas les bonnes billes pour certains. Je n'ai pas les bonnes armes et ça me navre, tout autant de ne pas avoir la solution que l'idée d'avoir besoin des "bonnes armes". Par moments, je me sens démunie, je l'avoue. Même si ça finit toujours par passer, ça m'arrive de plus en plus souvent.
Ma journée d'hier restera dans les annales: j'ai failli mordre un élève ! Oui, vous avez bien lu: une semaine à peine après la rentrée des classes, j'ai failli mordre un élève très très ch... pour lui faire lâcher un truc qu'il ne voulait pas me donner !
Très très mal, la nana... j'ai eu l'heureuse idée de me retenir in extremis, pourtant j'étais à peine en état de me retenir...
Les questions, quand on dérape vis à vis d'un môme, sont toujours les mêmes. Je dis toujours car en 20 ans de carrière, cela m'est déjà arrivé deux fois, et j'ai beaucoup travaillé sur ce qui nous amène à déraper vis à vis d'un gamin.
Cela m'est arrivé en début de carrière, lors d'un stage de formation. Pas de mordre. Mais j'avais failli coller un coup de pied à un gamin de CE2 qui venait de me mordre au bras, à sang. Cela avait bien fait rigoler les collègues: il nous a tous mordu! T'es vaccinée contre la rage ?
Mais au-delà de l'anecdote, les questions qui se posent alors à nous sont des questions de remise en cause personnelle: suis-je faite pour ce métier? Ce métier est-il fait pour moi ? En suis-je capable ? Ai-je les capacités à m'améliorer, à tenir le choc ? Tenir le choc, tenir le coup, dans ce métier cela revient sans cesse comme une nécessité: tenir la semaine,tenir jusqu'à la semaine prochaine, tenir jusqu'au vacances. Si les profs comptent sans arrêt à rebours le temps qui reste jusqu'aux vacances, ce n'est pas parce qu'ils rêvent de vacances, il ne faut pas s'y tromper c'est parce qu'ils mesurent l'effort à fournir pour réussir à tenir le choc.
Cela m'est à nouveau arrivé deux ans plus tard. Un élève très très pénible que je n'arrivais pas à canaliser. J'avais vu la mère plusieurs fois qui, sans soutenir le gamin, mais sans intervenir vis à vis de lui, n'était pas capable d'un autre discours que "foutez lui des baffes". Et la stigmatisation est montée, est montée, est montée. J'étais obnubilée par ce problème, qui m'envahissait. La nuit, je rêvais que je lui collais une baffe. Prémonition ? Mise en condition? Toujours est-il qu'un matin vers 11 h, ce grand gamin de CM2, plus grand que moi et vraiment baraqué, a voulu me frapper ! Oui, il était debout, vociférant, je me suis avancée pour le demander de se remettre au travail, et il m'a collé son poing dans la figure. A toutes forces. Enfin, j'ai esquivé de justesse, heureusement ! Mais j'ai eu vraiment peur et j'ai vu rouge. Je me suis rappelé du conseil de ma mère, enseignante : "jamais devant témoins", je l'ai saisi par les épaules, trainé dans l'entrée de l'école (classe unique), et très calmement, je lui ai collé une baffe, je l'avoue!
Il a hurlé et s'est jeté par terre où il s'est roulé en trépignant pendant exactement 30 minutes.
Je lui ai tourné le dos et je suis retournée en classe continuer mon cours. Silence dans les rangs pour la première fois de l'année ! Etonnant, car depuis le début de l'année, on n'avait jamais pu travailler en silance, à cause de lui, et là, on a pu, enfin !
J'avais peur qu'il se barre et rentre chez lui mais au bout de 30 minutes, il est entré en classe, sans bruit, s'est assis à sa table, s'est mis à travailler et a fini l'année et demi qui lui restait à passer avec moi (fin du CM1 et CM2) avec un comportement de politesse et de gentillesse absolument inattendu auparavant. J'ai enfin pu l'aider et on a réussi à éviter l'orientation en segpa, il est parti au collège avec les autres. J'ai cessé de faire venir la mère, mais un jour, on s'est rencontré et elle m'a dit gentiment que ça se faisait pas de baffer les momes... J'ai fait celle qui n'avait pas entendu.
Par contre, ce que j'avais gagné ce jour-là avec cet élève, élève difficile mais grand enfant attachant, je l'ai perdu avec les autres. C'est à dire qu'il s'est enfin mis à me respecter, et j'en avais tiré la leçon qu'avec les loups, il faut montrer qu'on est le chef de la meute, mais les autres élèves, qui avaient parfaitement compris ce qui s'était passé, m'ont montré de la distance, même si j'avais un ou deux fans parmi eux, qui louaient mes mérites: Super Prof, la meilleure qu'on ait jamais eue !
Durant 15 jours, je n'en ai pas dormi la nuit, remâchant mes remords d'une part, et me reveillant au milieu de cauchemars sur la visite vengeresse de mon inspecteur muni d'une plainte des parents, mon renvoi de l'éducation nationale... Mais il ne s'est rien passé, tout est rentré dans l'ordre et je suis restée sur la désagréable et diffuse sensation qu'on manquait de formation et de soutien pour gérer les problèmes "de relation pédagogique". J'ai prié pour que ça n'arrive plus, je me suis engagée dans la pédagogie coopérative afin que les élèves puissent s'exprimer librement, trouver leur place dans le groupe, dans les projets menés... Cela fait partie de mon expérience, cela a été une épreuve fondatrice qui m'a permis de réfléchir et d'améliorer mes pratiques pédagogiques, pour faire réussir mes élèves, tous mes élèves, pour les intéresser, pour les motiver, pour travailler ensemble et non pas être en opposition.
Dix ans plus tard environ, j'ai eu la possibilité de travailler sur la violence à l'école. Pas la violence des élèves, on en parle facilement depuis longtemps, mais de la violence de l'institution et de certains maitres vis à vis des élèves. J'avais une classe où je menais une pédagogie coopérative avec un groupe de mioches particulièrement attachants et l'un d'eux a laché: ma maitresse d'avant m'a attaché au radiateur ! Et une autre a suivi: ben moi, à ma chaise. Et une troisième: ben moi, je suis restée debout toute la journée parce que j'arrivais pas à lire un mot...
Ils se sont lachés. Ma première réaction a été: "C'est une blague ?" mais devant leurs regards blessés, j'ai compris que ça n'en était pas une. Je les ai fait parler, j'ai tout noté, je suis allée voir la psychologue scolaire pour lui donner ces paroles et lui demander une intervention collective mais elle a refusé de s'en occuper en disant: "Oh, pas de remise en cause de l'institution dans l'institution". Mon étonnement était à son comble... Mais ça n'était pas une remise en cause de l'institution dans l'institution, c'était vouloir parler du quotidien des rapports difficile des élèves avec les enseignants !
Finalement, j'ai pris ma décision: puisque la psychologue refusait d'intervenir, nous avons donc travaillé tout un trimestre sur ces paroles. Comment c'était arrivé? Que pouvait-on faire ? Comment en parler sans dénoncer, sans porter tort aux enseignants ? Pourquoi ces enseignants avaient fait ça ? Qu'est-ce que les droits et les devoirs des enfants ? Pourquoi les enfants sont punis ? Quand est-ce que c'est normal, quand est-ce que c'est anormal ? Qu'avait-on le droit d'en dire? Fallait-il punir ou non ? Et pourquoi ? Et comment ? Nous avons écrit un article dans le journal de l'école pour expliquer aux élèves comment se conduire pour ne pas se faire punir. Nous avons expliqué aux professeurs qu'ils devaient expliquer les règles aux élèves avant de les punir pour ne pas avoir respecté des règles qu'ils ne connaissaient pas... Notre discours a été très fraichement accueilli par les profs, mais l'accueil des parents et des autres élèves de cette grande école de 220 têtes a été très favorable.
Néanmoins, cela a interrrogé ma petite bande qui s'est posé la question: mais pourquoi les adultes, les profs, ne veulent pas en parler? Ils ont découvert ce qu'est un tabou... Puis l'inspectrice, alertée, est arrivée pour nous dire de ne pas parler du problème ouvertement, mais en en faisant un conte, une fable... Ils ont découvert ce qu'est la censure. Pourquoi La Fontaine avait mis des animaux en poème plutot que parler des grands de son monde. Ils ont décidé d'en faire autant et leur histoire est devenue une histoire arrivée à d'autres, ailleurs...
C'est parti pour participer à un concours d'écriture scolaire. Cela s'appelait: Ceci n'est pas une bombe mais un livre ! J'avais rencontré la présidente de la commission des droits de l'enfant et lui avais soumis le travail. Elle l'avait trouvé excellent et avait fait une préface magnifique. Mais j'ai commis l'erreur de le montrer à des collègues. Interventions de la hiérarchie, et retrait autoritaire du livre du concours ! On est arrivé pour me demander ma démission. J'ai refusé.
Je passe sur bien des péripéties... Tout ça s'est tassé. Enfin, on m'a totalement interdit d'en parler, de communiquer sur le sujet, y compris dans la hiérarchie, avec mes collègues. Autant dire que le jour où ce blog s'ouvrira, vous verrez disparaitre cette page. Un certain nombre de collègues ont eu le livret de notre travail en main. Tous m'ont dit: mais c'est vachement intéressant, il faut le porter à connaissance de tous les enseignants, car c'est le meilleur moyen de prévenir les violences que d'en parler en expliquant comment elles arrivent !
Une chose positive est restée de tout cela: la ligue des droits de l'enfants présente le livret dans les IUFM lorsqu'on leur demande d'intervenir sur la formation des enseignants !
Et grosse consolation: mon inspectrice de l'époque, qui a pourtant sévèrement été secouée par ses erreurs dans cette affaire, me considère comme une EXCELLENTE enseignante et le dit partout, y compris chez le coiffeur ! (vivent les petites villes de province !)
Bref... cet intermède historique pour vous expliquer comment je me sens stupide d'avoir failli mordre ce môme, hier. D'accord, je ne l'ai pas fait. Mais j'ai FAILLI le faire ! J'en ai eu l'intention, l'espace d'une minute ! j'ai ouvert la bouche...
Comme je me sens mal, vous ne pouvez pas savoir. Oui, tout ça m'arrive à moi. Alors que je suis contre cela, que je sais le mal que cela fait, que j'ai milité pour autre chose, pour enseigner autrement que dans ce rapport de force, que je me suis formée pour ça... Mais quoi ? Pourquoi... comment... oui, je sais le pourquoi et le comment. Et je sais que là, il me faut prendre du recul, me reformer, probablemenet me replonger dans ce livret que mes élèves ont écrit, à l'époque... Car je n'ai que l'autocritique et l'autoformation à ma disposition pour que ça n'arrive plus ! Ah, si, les groupes de parole et de soutien que je voulais qu'on crée, il y a dix ans, quand c'est arrivé, existent depuis peu: des groupes de parole pour enseignants à bout... Gérés par une psy, pris en charge par la MGEN. On a le droit d'y aller trois fois. Je vais me renseigner.
Mais après 20 ans d'ancienneté dans ce métier, les questions sont: suis-je encore capable de continuer dans ce stress permanent, cette bataille quotidienne ? Est-ce que je crois encore à mon action ? Dois-je continuer ou arrêter ?
J'ai lu dans Marianne qu'en ce moment, 25 % des enseignants voulaient changer d'activité. Si des gens comme moi, qui ne sont pas les plus mauvais enseignants (oui, là, petit manque de modestie, mais j'assume...) si les gens comme moi démissionnent, où va-t-on ?
En même temps, les gens comme moi, en fin de carriève, fatigués, épuisés, sont peut-être voués à devenir de mauvais enseignants ? Et il est hors de question que je devienne une mauvaise enseignante ! Malgré les difficultés inhérentes à ce métier, j'ai fait de bonnes et belles choses, dont je suis vraiment fière, avec des temps forts exceptionnels qui je le sais, ont marqué les gamins pour le meilleur, pas question de laisser autre chose derrière moi que mes réussites.
En entrant dans l'éducation nationale (mon 4ème métier à l'époque...), j'avais dit que c'était pour 10 ans et qu'ensuite, je ferai autre chose, probablement de la formation pour adultes. Cela fait 22 ans et j'ai été successivement institutrice puis prof des écoles (avec une direction de classe unique), ensuite, mise à disposition de l'OCCE, gestion des coopératives scolaires et coopération scolaire, avant d'être remplaçante puis enfin de devenir enseignante spécialisée. Autant dire que j'ai fait 3 métiers différents durant ces 22 années...
J'ai également toujours dit qu'il était hors de question que je devienne un jour l'un de ces enseignants comme on en voit un peu partout (ayant été remplaçante, je pourrais généraliser en disant que pratiquement chaque école en compte un, tandis qu'il y a toujours un petit groupe malsain dans chaque collège), l'un de ces profs râleurs, en fin de course, mal dans leur peau, critiquant sans discernement ces crétins d'élèves et leurs couillons de parents, ce drôle de monde qui fout le camp, le ministre qui peut dire ce qu'il veut car ils sont pas dans la classe et qu'il ferait bien d'y venir, et les jeunes collègues qui arrivent, encore emplis d'enthousiasme et de courage, sans trouver grâce à leurs yeux... Oui, je les avais remarqués, ces enseignants aigris, usés, finis, je les avais vus, je n'ai jamais pensé qu'il s'agissait d'une race à part, j'ai toujours pensé que j'étais différente tout en ayant peur de devenir l'un deux... Et j'ai toujours dit: non, hors de question. Je partirai avant.
Je ne suis pas l'un d'eux. Tout d'abord, la grande différence, c'est que j'ai encore de la compassion pour ces ados en mal-être, je les respecte autant que je peux, je ne fais aucune différence entre celui qui veut et celui qui ne veut pas, entre le blanc et le noir, le poli et le petit sauvageon: je fais le maximum, pour tous.
Sauf que là, j'ai l'impression d'atteindre mes limites. Je n'ai pas les bonnes billes pour certains. Je n'ai pas les bonnes armes et ça me navre, tout autant de ne pas avoir la solution que l'idée d'avoir besoin des "bonnes armes". Par moments, je me sens démunie, je l'avoue. Même si ça finit toujours par passer, ça m'arrive de plus en plus souvent.
Pourquoi avoir voulu le mordre... Simplement parce que tu es humaine ? Simplement parce que tu as retrouvé cet instinct d'auto-défense, parce que ça suffit d'être pris en otage par des mômes mal élevés et sans aucune notion de ce qu'est le respect ?... Des parce que, j'en aurais des tonnes à te proposer, Agnès... Mais celui qui me vient en tête en premier est celui qui fait l'apologie du prof qui n'est pas encore déshumanisé, qui a gardé sa vocation, et qui a envie d'avancer avec les gamins, encore, et malgré tout !
RépondreSupprimerEn tout cas, EFT, lifting facial, prends soin de toi, et relativise... C'est un métier, il t'a assez renversé la vie... Ce n'est pas son rôle premier après tout ?
Je te fais plein de bisous, saturés en bave, cela va de soit :)
T'as voulu , tu ne l'as pas fait !!
RépondreSupprimerEt je suis sûre que tu apportes encore pleins de bonnes choses aux autres élèves .. ET que çà tu n'arriveras pas à t'en passer.
On en a déjà parlé, tu sais que je pense que les parents ont une grande part de responsabilités sur le comportement de leurs enfants.
Zen , zen....
Pour info, en 1ere année de maternelle , mon grand père m'a trouvée attachée avec une copine car on faisait trop les souaves... il a hurlé !!! Cela m'a pas calmée !
En même temps, en arriver à attacher les mômes en maternelle, franchement, cela relève du sadisme...
RépondreSupprimerJ'ai fait de maternelle, en tant que remplaçante, durant mes années de "bannissement": le pied.
Une fois, je suis arrivée dans une classe, les instits étaient postées à la porte et m'ont prévenu: tu verras, celui-là, il est psy !
Psy, il l'était: épouvantable et en psy,d'ailleurs, seulement en classe 2 matinées par semaine...
Il a commencé à faire le con et je lui ai dit en claquant des doigts : attention, je suis une sorcière, je vais te transformer en crapaud !
Et en même, j'ai senti que mon épaule éteignait la lumière. Le môme en est resté baba: comment t'a fait ça, t'es une sorcière ? Et j'ai refait le geste en rallumant...
Le gamin s'est tenu coi toute la matinée: à 10 h et à midi, les autres instits étaient agglutinées à la porte pour comprendre comment je faisais. Quand le gamin bronchait, j'agitais ma baguette magique imaginaire...
Elles m'ont demandé comment je faisais et j'ai dit d'un air détaché: Oh, je lui ai dit que j'étais une sorcière !
Elles m'ont regardé d'un air effaré !
Mais une fois en arrivant dans une classe de petite section, où on m'envoyait moi parce que j'étais capable de tenir des classes difficiles et que tout le monde craquait sur cette classe, j'ai voulu leur raconter une histoire: les moufflets s'en foutaient et grimpaient aux rideaux ! J'ai fait une heure, puis j'ai eu un malaise: je suis tombée dans les pommes, envie de vomir, etc... crise de spasmophilie, la totale.
RépondreSupprimerArrivée aux urgences, vous savez quoi ? C'était une crise d'angoisse ! Oui: une crise d'angoisse ! Au milieu d'une classe délirante de petite section !
Je te prête ma petite dernière une semaine. Pas besoin d'une classe entière pour avoir envie d'hiberner, je te le dis... :)
RépondreSupprimerOn ne le dira jamais assez : vouloir être enseignant à notre époque, c'est un pari de fous furieux...mais il y a encore des vocations...il y a aussi il faut le dire, des coins de campagne où subsiste le respect de l'enseignant et où on peut faire du bon boulot, mais la famille étant ce qu'elle est, on charge les épaules des maîtres de tas de problèmes qu'ils ne devraient pas avoir à gérer...Ma petite filleule lors de sa première année de collège en tant que prof d'anglais a craqué complètement, heureusement elle a eu le soutien de son inspecteur et des collègues, ce qui n'est pas courant, il faut bien le dire ! Alors, courage...au jour le jour !
RépondreSupprimerJ'ai ma fille de 12 ans qui veut etre institutrice ou prof.mais voyant comment se comportent deja les petits que je garde et qui n'ont meme pas 2ans .eh bien je crois qu'elle va changé d'orientation deja ...C'est fou maintenant les enfants comment ils sont , les parents sont totalement dépassé.Voilà une des raisons qui me pousse à changer de métier ...Et comme je te comprends Agnés face à ses grands dadet que ce n'est pas facile .......
RépondreSupprimermais y a encore des "anges" !! vous prenez mon fils et ses copains, soit ils sont plein d'energie mais très positive ... Y en a encore !!
RépondreSupprimerOh ! ça fait mal et je me sens un peu dépassée, là ! ... les mots me manquent, ce qui est extrêmement rare chez moi vous en conviendrez.Ça doit être une réalité que je ne connais pas, les hordes barbares, les conflits, les défis stupides et les règlements de compte qui s'en suivent.
RépondreSupprimerDites-moi, le monde de l'éducation est comme cela partout ?
Y a-t-il encore des oasis de fraicheur, de bonne volonté et (rêvons ...) d'envie d'apprendre et de plaisir de réussir ?
Suis-je un dinosaure de vouloir y croire encore ? Sommes-nous condamnés à rêver d'une machine à remonter le temps au lieu de regarder devant nous ?
Il y a des oasis de fraicheur, rassure-toi.
RépondreSupprimerEnfin, je ne vous ai pas raconté la moitié de mes problèmes d'hier... 5 élèves qui se sont perdus dans les couloirs du collège jusque 30 minutes après l'entrée en cours !
J'en avais seulement deux sur un groupe de 7 !
Ce matin, j'ai un 5ème qui s'est fait tabasser par des grands de 3ème...
La joie, quoi !
je rajouterai une chose: j'ai bien fait de changer d'orientation,car je n'aurais pas pu ,pas su ,affronter tout cela !!
RépondreSupprimerbravo Agnès de traverser encore ces tempêtes ....et heureux ceux qui auront eu la chance de croiser ton chemin !